le Projet

Projet d’exposition

VIEILLES PIERRES/JEUNES CAILLOUX

Une collaboration de Elaine Massy et Isabelle Humbert-Radtke
et invités

"Grâce à l’atavisme, chacun de nous peut espérer posséder tel ou tel trait physique ou moral qui caractérisait l’un de ses ancêtres ayant vécu plusieurs siècles auparavant. Cet ancêtre, il peut même supposer qu’il lui ressemble comme un frère jumeau, et qu’en somme il y a eu un premier lui-même quelque peu modifié certes par des conditions de temps et de lieu totalement différentes. Cette notion d’atavisme est précieuse parce qu’elle fait éclater en une quantité de fragments immense — mais non pas infinie — la masse héréditaire sous laquelle nos parents immédiats — notre père et notre mère — menaçaient de nous écraser. Grâce à l’atavisme, l’hérédité n’est plus un bloc cheminant de génération en génération — comme un pavé que des terrassiers faisant la chaîne se passeraient de main en main –, c’est une poussière d’étoiles dans laquelle chacun de nous puise pour composer sa constellation personnelle.[....]
Michel Tournier
Extrait de Célébrations, Essais,
(Mercure de France, 1999)


Paris, le 15 mars 2010
HABITER LE TEMPS ?
Moins il en reste devant moi, plus je creuse dans le temps révolu, j’élargis le champ de ma découverte des générations antérieures.
Cela a commencé avec la mort de ma mère : après m’avoir donné la vie, elle me donnait, dans son extrême abandon, un sésame pour la mort.
Que j’ai traduit dans une série de figures de terre (dont la MUE est l’expression la plus évidente), modelées dans l’urgence ; je les ai scrutées sur toutes leurs faces : peintures ocre, noir, blanc, d’une facture brutale.
Il s’en est suivi une période extrêmement productive, tournée vers mes racines, dans un hommage à Auguste Reymond, photographe du
19 ème siècle, natif de la Vallée de Joux comme moi.
Peindre et dessiner d’après ces photos, c’était retrouver des visages connus : les arrière-petits-enfants des modèles d’Auguste Reymond,
mes camarades d’école. C’était reconnaître les travaux des champs à peu près inchangés jusqu’à l’après-guerre de 39-45 - le parfum du
foin – les premiers nuages photographiques- les neiges d’antan…

Photomontage, peinture 70x70cm tirée de l’exposition « Homage à Auguste Raymond » 1996 de EM.
et « tabliers mue » peintures découpées, 2009, H env.130cm. de IHR

Je me suis ensuite aventurée plus loin dans le temps :
Narbonne m’a fourni des visages, des statues rongées par les siècles,
des fragments de fresque, et là encore, j’ai mêlé ma vie, mes rêves à ces rescapés . (Exposition « Pulvis et umbra summus » Narbonne 1998)
« Une rencontre a lieu quelque part, en un point qui n’est ni d’autrefois ni d’aujourd’hui, comme si le temps devenait une sorte de galerie dans laquelle on peut aller et venir » EM. Extrait du texte d’invitation « Hommage à Auguste Reymond, » Le Sentier ; Vallée de Joux, 1996

Et voilà que ma petite-fille qui, -comme moi- a « fait les Beaux-Arts à Paris, me propose d’aborder, à travers un échange dont la forme restait à préciser, la question du lien familial.
Pour partir sur du palpable, j’ai commencé à étudier la « Vénus », petite sculpture d’acier faite en 2002 par Isabelle.
J’ai commencé par une étude « classique », comme face à un « Antique », au fusain, au pastel, plume et lavis d’aquarelle.
Tantôt je reconnaissais un tombé d’épaule, une attache de nuque évoquant Isabelle, tantôt j’étais face à un monstre troué unijambiste…
Et les moments de stupeur succédaient aux attendrissements…
Une fois capable de comprendre cette oeuvre hybride – fruit des hasards de la « ferraille » et de l’intervention plastique d’Isabelle, j’ai laissé jouer ma reconnaissance de l’oeuvre dans une pratique aléatoire au pinceau, brou de noix sur rhodoïd. J’en suis là… E.M.



Varambon, le 14 mars 2010
EN SERIE
Ma grand-mère est artiste peintre et sculpteur. Nous avons une relation privilégiée, en effet, je suis artiste aussi.

IHR « Drop », acier trouvé, H :60cm 2010

Je fais un travail où le processus a une grande importance. J’utilise des DROPs, [Chutes, reliques, restes] en tant que symboles [traces, mémoires] du travail passé qu’ils représentent [peindre, cisailler], pour évoquer [invoquer] un certain bagage historico-culturel [héritage, trace, tribu]. Leur espacement [räumen], me permet de créer des lieux nouveaux entre les lignes [entre la surface et le mur, entre les plans.]
Ni tableaux ni objets, les choses créées [oeuvres] le sont afin de donner lieu à un maximum de silence [vide].
Récemment j’ai montré des peintures en forme de tabliers, accrochées à des clous : Liens noués ou dénoués…exposées en parallèle à une série de sculptures en métal qui s’appuient plus ou moins sur le mur pour exister dans l’espace.
Ma grand-mère est artiste. Depuis toute petite j’ai voulu faire comme elle… ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Comme elle ?
Dans la famille il y a la notion de série, comme en peinture et en sculpture.
Répétitions et variations.
Moi. Ma mère. La mère de ma mère. Sa mère.

Entre les éléments préexistants à moi, conditionnant : Femmes d'avant moi-quelle place pour la liberté, quel espace entre les lignes? Quelles richesses reçues ? Quoi de neuf ? Est-ce que la ligne s’arrêtera avec moi ?
Moi ? Notion qui semble se dissoudre, qui a envie de laisser la place au nous. Qu’est ce que nous pourrions dire ensemble sur ce lien de femme à femme, à femme, à femme….qui naissent, font naître et meurent ?


E.M. « La Sentinelle », bronze, H :17cm 1989

Entre générations, nous voulons collaborer sur un projet d’exposition.
Notre projet est de nous approprier le travail de l’autre pour le mettre en contexte. Le moins poliment possible. Nous allons travailler chacune dans nos ateliers puis monter l’exposition ensemble.
A travers les conversations suscitées et surtout par l’appropriation réciproque d’un peu de nos histoires comme matériaux, j’espère que nous pourrons nous immerger le plus près possible de la part inconsciente d’une réalité complexe puis en exprimer une part formellement.
Le "lien du sang"… Nous voulons nous permettre de le pétrir, de le penser avec nos mains pour produire du visible, à laisser dans l’espace d’exposition, offert au regard.
Et ce bagage posé, repartir un peu plus légères.
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J’ai choisi deux oeuvres qui m’intriguent particulièrement, « la Mue », une sculpture faite par Elaine après la mort de sa mère et « la fessée », une peinture représentant, j’ose à peine le dire, ma grand-mère (car c’est elle c’est sûr) recevant une fessée sensuelle d’un ours blanc.
Pour faire écho à la notion de répétitivité mentionnée plus haut, je souhaite créer une réplique agrandie de la mue et la poster en face de cette peinture. Ensuite, peut-être, travailler à partir de « la mère » sculpture représentant ma mère : Sylvie, fatiguée avec son 4ème enfant sur les genoux ou alors « la sentinelle » qui me semble regarder en avant plutôt qu’en arrière.
Je vais construire des "croûtes" en papier de soie et farine de sarrasin. L’ensemble va devoir prendre forme très lentement, en effet, le papier de soie mouillé tend à « fondre », le travail de fabrication sera donc symbole d’une lutte contre/avec-car il la prend en compte- la disparition.
IHR

 Photmontage avec . « La fessée », 150x150cm, 2005 & « La Mue » 1989, bronze, H:15cm